Et si l'Iran avait la Bombe?...

Publié le 26 Mars 2008

    L'affaire d'Iran qui chauffe les milieux  diplomatiques, les états-majors et les scientifiques occidentaux depuis deux ans maintenant soulève tant d'éléments  symboliques que le  seul débat qui nous est proposé des très nombreux (et compétents) spécialistes reste dramatiquement primaire, caricatural.
    Car si l'on résume les données du problème, sans caricaturer (ou presque), nous serions face à une crise tellement simple que quiconque remettrait en cause l'accusation générale des volontés bellicistes iraniennes ne pourrait être qu'un fondamentalistes ou son pendant laïque, un fasciste patent. Le symbole de destruction absolu (Hiroshima) représenté par l'atome ne tolère pas la moindre faille dans le dispositif d'interdiction de l'arme atomique, (dispositif incarné par le TNP essentiellement). Que les Cinq du Conseil de sécurité de l'ONU aient été rejoints par Israël, le Pakistan, la Corée du Nord, l'Inde, et probablement d'autres, ne semble pas nécessiter une remise en question de l'idéologie de la non-prolifération. Que les Etats-Unis d'Amérique utilisent depuis dix ans (approximativement depuis la guerre de Yougoslavie) des armes à uranium appauvri (et probablement des engins atomiques à faible puissance sur le discrêt champ de bataille afghan) n'est pas non plus un problème, non plus que la montée en puissance des coopérations pour le nucléaire civile (l'entreprise AREVA vend de l'atome comme une marchandise normale un peu partout dans le monde) due à l'enchérissement durable du pétrole.
    En outre, il ne semble faire aucun doute pour personne que M. Ahmadinejad est un fou prêt à déclencher l'apocalypse nucléaire aussitôt qu'il en aura la capacité. Que les yeux de l'Oncle Sam soient techniquement capables d'anéantir tout missile avant même sa mise à feu depuis la Guerre Froide ne semble pas remettre en question le danger. Et que les innombrables groupuscules terroristes qui ont voués l'Amérique aux flammes de l'enfer puissent obtenir des "bombes sales" auprès de la Corée du Nord, du Pakistan et surtout du réservoir atomique russe n'est qu'un détail. Non, pour l'ensemble des géopolitologues, aussitôt que l'Iran aura la Bombe, soit il s'en servira, soit il la vendra à des kamikazes. Et un fou ne tenant pas compte des risques d'anéantissement de son propre pays, possession entraînera utilisation. CQFD.
    Il est étonnant qu'en France aucun analyste ne déroge à l'antienne catastrophiste. Ainsi, pour quelle raison M. El Baradeï, qui en son temps s'est battu seul contre la puissance américaine pour démontrer que l'Irak ne possédait pas d'"arme de destruction massive", est-il le premier sur le front des accusateurs? Pourquoi les plus hauts dirigeants occidentaux feignent de présenter de façon simpliste le président iranien, comme un nouveau Hitler, Staline ou Ben Laden? Pour quelle raison pas un seul commentateur ne relève l'évidente préservation de leur monopole par les puissances nucléaires officielles (et ce, quelle que soit la réalité du danger iranien)? Comment des puissances qui ont quotidiennement tiré profit de la menace qu'ils représentaient pour assurer leur influence sur la marche du monde, pourraient-t'elles simplement accepter de voir ce monopole battu en brèche?
    Aussi il apparaît utile de se lancer dans quelque hypothèse afin de replacer le coeur du problème. Que se passerait-il donc si Téhéran parvenait à construire une arme atomique? Premièrement, il s'agirait de toute évidence d'une arme de faible qualité, de faible puissance. Rien ne dit que les capacités militaires iraniennes (malgré la mise en service d'un nouveau missile Achoura d'une portée théorique de 2000 km) ne permettent d'équiper un missile d'une tête nucléaire. Surtout, l'armada américaine de satellites, de navires dans le Golfe Persique et de bases en Irak, Afghanistan et au Pakistan n'auraient aucune difficulté à empêcher le décollage d'un tel engin. Ils en étaient capables face aux soviétiques et leurs milliers de têtes enterrées dans des silos...
    Mais surtout, toutes les gesticulations actuelles font fi du principe même de dissuasion nucléaire, qui veut que c'est plus la peur de l'arme que le danger réel qui prévaut. C'est la raison pour laquelle tous les programmes nucléaires sont entourés du plus grand secret. Si personne ne connaît exactement l'etat des capacités  nucléaires de l'Etat d'Israël, personne ne peut savoir s'il est réellement menaçant, en quel délai et sur quel périmètre. Tant que l'incertitude demeure l'adversaire s'abstient.
  Quelles sont donc les raisons qui poussent Téhéran à braver la communauté internationale et à se doter de la symbolique que représente l'arme atomique?  Il est important de souligner que ce  concept  de communauté internationale, sémantiquement très vague, est dans les faits souvent utilisé,soit comme synonyme d'Assemblée Générale des Nations Unies (avec l'incapacité que nous lui connaissons à parler d'une même voix et donc à condamner un "aventurisme nucléaire" comme celui de l'Iran), soit comme le regroupement des grandes puissances mondiales, à savoir un club de Nations d'ascendance européenne et chrétienne (dont les Etats-Unis d'Amérique) dirigé par des gouvernements laïque. Cela éclaircis une position d'insulaire pour des dirigeants chiites minoritaires en Islam, cernés par des alliés (et des bases militaires) des Etats-Unis, et quasi seule théocratie  dans un monde laïque dominé par une vision et des valeurs occidentales du monde . Non qu'il faille remettre en question ces valeurs majoritairement basées sur la Démocratie et la séparation du temporel et du spirituel. Mais il est toujours nécessaire de comprendre la psychologie d'un "partenaire" lorsque celui-ci pose problème. Dans ce cas (comme dans celui de la Corée du Nord) le raidissement constaté du côté de Téhéran est tout ce qu'il y a de plus prévisible dans ce contexte. Mais quand la Corée du Nord sait pouvoir compter sur l'influence du voisin chinois pour la protéger de tout risque d'intervention militaire américaine, l'Iran est seul.
   En somme il s'agit ici plus de rouler des mécaniques que d'une réelle volonté belliqueuse. L'histoire a montré que seules les bêtes traquées et acculées se livraient à des actes insensés. Ce n'est pas la situation de l'Iran malgré tout, qui jouit d'une forte croissance économique, d'un nationalisme solide et de la capacité d'obstruction très réelle de la Russie de Poutine. Car que faire d'une bombe atomique? Raser Israël? Outre la probable impossibilité technique, la capacité de riposte nucléaire de l'Etat hébreux (le fameux principe de dissuasion) et sa supériorité technologique (des avions porteurs notamment et l'assistance des satellites américains), quel en serait l'intérêt? Aucun dirigeant au monde ne se lancerait dans un tel risque de destruction mutuelle pour le simple plaisir d'une image favorable auprès d'une partie du monde arabe. Cette histoire n'est donc qu'un énième rapport de force entre deux nations antagonistes, des bruits de bottes comme nous l'a montré l'exemple colombien début mars.
  Pour quelles raisons alors un tel énervement, une telle escalade verbale dans les discours occidentaux? Les spécialistes et dirigeants savent tout cela. Si l'on souhaite mettre de côté l'esprit de croisade plus ou moins atavique chez certaines franges politiques chrétiennes (notamment aux Etats-Unis) et la théorie du choc des civilisations (la transposition actuelle de la doctrine médiévale), l'on a du mal à comprendre un tel antagonisme. Reste la crainte de voir cette possible puissance passer à un statut d'égal qui obligerait à négocier avec un modèle qui nous fait peur et reste trop éloigné de nos valeurs. Aucun gouvernement n'avouera publiquement nier l'existence d'une théocratie telle que l'Iran. Pourtant ce principe de gouvernement semble sorti des pires cauchemars de l'histoire européenne et influe probablement sur l'inconscient de nos dirigeants. Si l'on exclue la menace réelle, le symbole politique et religieux que représente l'Iran, que reste-t'il? L'Iran, malgré son rigorisme religieux, n'est pas une dictature, moins sans doute que la Russie, et la société civile soutient dans une certaine mesure son modèle de société. Que cela nous plaise ou non c'est un fait, bien éloigné d'un chaos afghan qui avait entraîné l'unanimité d'une intervention militaire (sans doute pour de mauvaises raisons après des années de pouvoir taliban aucunement inquiété).
    Reste enfin le risque, réel cette fois d'un aventurisme américain. Si les arguments favorisés semblent moins valables aujourd'hui qu'il y a un an, si l'Etat-Major est extrêmement réticent à un tel projet, si l'artisan principal de l'invasion irakienne (Rumsfeld) est parti, n'en reste pas moins le risque de voir une administration américaine vouloir enterrer un probable mandat Démocrate à venir sous une guerre intenable ou bien plus basiquement de vouloir se venger de l'affront incarné par M. Ahmadinejad. Une telle guerre serait longue, désastreuse pour les deux côtés et relancerait comme jamais le fondamentalisme musulman. Au final, la meilleure chance de la paix reste le bourbier irakien et la récession américaine qui interdiront probablement toute tentative autre qu'un bombardement stratégique inefficace des installations nucléaires iraniennes avant janvier 2009., date de prise de fonction du nouveau président à Washington. Cela laisse un an à Téhéran pour développer tranquillement son programme. Ensuite, l'état d'avancement de l'arme atomique et le résultat des élections américaines détermineront l'avenir de la région toute entière, de l'Inde à la Méditerranée en passant par le Caucase. Loin de représenter une terrible menace, la Bombe iranienne pourrait induire une normalisation sans précédent des relations islamo-occidentales basée sur l'équilibre de la force, seule loi respectée en politique internationale.

Rédigé par S. Boumaza

Publié dans #International

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